J’aime David
Lodge, c’est inconditionnel. Il ne signe pas ici son plus grand roman, mais il
me fait rire, me touche et m’emmène sur des terrains qui m’intéressent
toujours. Ici, c’est la fin de vie. C’est la fin de la vie du travailleur, ici
du professeur de linguistique; de la fonction sociale productive, ici il est à
la retraite et les projets le laissent dorénavant froid; de la vie sexuelle qui
perd de son élan et qui objective avant se ruer face aux pulsions. C’est aussi
la diminution de certaines facultés. Ici, Desmond Barthes devient sourd (David
Lodge devient sourd) et il se voit diminué là où il excellait avant – sa vie
sociale active intellectuellement. Puis il voit son père, musicien, perdre
tranquillement une à une ses facultés intellectuelles jusqu’à ce que Desmond
soit confronté à laver son père, lui changer la couche et en prendre soin; il
réalise que maintenant les rôles sont inversés de père-enfant.
Bien que le
sujet soit sérieux, D. Lodge sait y semer l’humour avec ses bévues de
mal-compréhension due à la surdité et des orthèses auditives fuyantes dont les
piles ne semblent jamais durer longtemps, le père bougonneux, la seconde épouse
qui a déployé ses ailes et qui est parfoit impatiente.
Au journal
intime qu’il tient, Desmond nous fait connaître sa préoccupation du
moment : Alex Loom, étudiante de 27 ans, doctorante mais sans les
capacités, manipulatrice, qui fait l’analyse linguistique de lettres de
suicidés. On ne sait trop quand la vérité commence, ni où elle finit. Clivage
entre professeurs, Desmond se fait prendre au piège de la belle blonde qui
l’utilise comme mentor. Toutefois, il est capable de retenue que seul l’âge, le
vieillissement peut lui donner – on sait ici que ce n’est pas trop une question
de valeur bien qu’il le verbalise ainsi. Son confrère, plus jeune, se fera
prendre au piège. Prétexte pour la manifestation du comportement de l’homme qui
s’affine avec les années, ou qui craint d’échouer au détriment de son image. Il
voit au-delà de sa queue? Pas certaine, son image plutôt.
« La vie
en sourdine », c’est la vie « regardée », en retrait, parce
qu’on ne l’entend plus comme avant et on ne peut plus y participer comme avant.
Le regard se transforme, non seulement celui de la personne qui a le handicap,
mais celui qui le regarde; parfois on se dérobe, on se cache pour ne pas
montrer la « dégradation ». Perdre l’ouie, c’est aussi perdre la face
pour le protagoniste. C’est triste. Mais par chance s’il y a un compagnon qui
comprend et qui regarde avec les mêmes yeux qu’avant (ici Winnifred qui tantôt
perd patience, tantôt comprend), et qui pardonne les conséquences de ce que l’on
n’est plus, la vie continue.
Il y a aussi
de ces prises de conscience, comme cette visite à Auschwitz qui remet les
choses en perpective – pour moi, une réminescence pour avoir visité ces lieux
en 1993; des images indélébiles. – Une lettre retrouvée par un commando qui
travaillait à l’extermination et qui savait qu’il ne sortirait pas lui-même
vivant de cet enfer avait laissé ce mot à sa femme : « S’il a pu y avoir, à certains moments, des malentendus
dérisoires dans notre vie, maintenant je vois qu’on était incapables
d’apprécier à sa juste valeur le temps qui passait. » PRISE DE
CONSCIENCE. Le temps qui passe, on n’a pas à l’entendre à grands cris, on n’a
qu’à le regarder minute par minute.
Puis c’est
l’Angleterre, Londres, l’université, l’univers de David Lodge. J’aime.