mercredi 18 avril 2012

Le calme retrouvé - Tim Parks

Monsieur Tim Parks, j’ai trouvé un ami en vous lisant. Vous avez mis des mots, ces mots qui jacassent toujours dans votre tête (vous aussi!), sur ce que je suis. Non pas que j’aie à vivre avec des douleurs chroniques, comme vous l’avez vécu pendant ces quelques années, mais je vis aussi plutôt dans ma tête que dans mon corps. Ce désir de transcender la raison pour arriver à la chair, vivre le moment présent en ayant les cinq sens en position « on », c’est du travail en soi. Le corps, j’y pense quand j’ai mal, quand j’ai peur que la maladie s’y attaque, quand il se transforme contre ma volonté, à part ça… non, il n’existe pas trop.  Je suis aussi dans ma tête.

Vous m’avez donné le goût de la méditation, de la prière, pour reprendre contact avec mon corps, en fait pour l’apaiser. Je pense au souffle qui passe sur les lèvres, prendre le temps de ressentir ce souffle. Vivre l’émotion plutôt que de « réfléchir sur l’émotion » en ne tenant que d’y mettre des mots. Comme en ce moment où je mets en mots ce que j’ai réalisé en lisant votre livre. Comme vous dites : « la réflexion exaltée sur l’émotion, qui tâchaient de la détourner de sa fonction première, de l’enrôler dans mon plan de carrière, de la muer en intelligence et en écriture. » Ça me parle ces mots…

C’était une bonne réflexion et… en ce moment, j’ai mal au ventre et je me dis que peut-être que moi aussi je dois cesser cette lutte dans l’esprit. D’ailleurs, je viens de prendre la décision de ne plus publier mon blogue sur la littérature. Je vais le garder pour moi. Donc pas de censure. Je n’ai pas à divulguer tout ce qui se passe en moi… c’est intime après tout, en autant que j’en prenne conscience.

samedi 3 mars 2012

L'envie - Sophie Fontanel


Des chapitres de 4-5 pages, comme des pages d'un journal personnel. Joliment écrit. Un regard vu à travers le prisme d'une réalité volontaire, soit celle de mettre la vie sexuelle de côté. Cette vie lui pesait. C'était un passage obligé, une "tâche", une obligation. J'écris au passé, car à la dernière page, on réalise qu'elle brisera son abstinence... Intéressant pour l'écriture. Le propos... bof. Mais puisqu'on comprend que c'est un passage de vie réelle que S. Fontanel a vécu, on comprend qu'elle a voulu l'exorciser pour peut-être mieux comprendre ce que tout ça représentait pour elle.

samedi 25 février 2012

Jocelyne Saucier - Il pleuvait des oiseaux



Je commence par ceci : C’EST UN ROMAN REMARQUABLE. Le narrateur donne la voix aux visiteurs de ces personnes âgées qui ont décidé de vivre librement. Trois vieux, de plus de 85 ans, qui ont fait le choix de se donner un dernier chapître de leur vie sans barrière. Leur identité n’est plus très importante. Trois hommes qui vivent en forêt dans leur cabane respective, avec pour colocataire, un animal de compagnie. Ils vivent au gré de la nature dans laquelle nous sommes complètement imprégnées. Que le nécessaire, sans plus. Même si la rudesse de l’hiver, habituellement rebutante pour moi en tout cas si j’étais prise en forêt, pour eux, ça va de soi et ça en vaut le coût. Puis il y a la petite boîte en fer blanc sur l’étagère qui donne accès à la porte du ciel si un des leurs décidait qu’il en avait assez, en donnant l’exemple d’incapacités physiques à vivre dans le paradis terrestre.

« Il pleuvait des oiseaux » quand les grands feux ont fait rage en Ontario au début du 20e siècle. Boychuck était alors enfant et il a marché pendant des jours dans le marasme de ce désastre qui lui a fait pourtant rencontrer les jumelles Polson, beautés qu’ils l’habiteront pendant toute sa vie. Dans sa cabane, Boychuck peint l’incendie, peint les amours de sa vie.

La photographe, dont je ne suis pas certaine qu’on ait prononcé son nom dans le roman, part à la recherche de ce Boychuck voulant faire le reportage de cet enfant qui a marché à travers l’incendie et a croisé une kyrielle d’individus qui en ont forgé leur histoire personnelle. Elle fera la rencontre en forêt de la communauté du lac : Charlie et Tom. Boychuck vient de mourir. Elle s’imprègne de ces vies, faute d’en avoir une.

Puis Bruno, ami de la communauté et de Steeve tenancier du bar du village, dont la forêt est aussi son coin de jardinage en guise de gagne-pain, y amènera Marie-Desneige, sa tante qu’on vient de découvrir, sœur de son père décédé. Internée toute sa vie sous des motifs qui datent d’un autre siècle, elle aussi aura sa seconde vie dans la forêt. Charlie débutera un nouveau chapître de sa vie en forêt avec Marie-Desneige.

Un portrait de la vieillesse tout en douceur. Où la vie revêt un caractère si loin de nos impératifs. Ça nous donne presque le goût d’aller s’isoler loin, loin et goûter à cette liberté.

Une écriture remarquable. Bravo Jocelyne Saucier, vous m’avez fait passer un moment ressourçant. 

samedi 11 février 2012

David Lodge - Une vie en sourdine


J’aime David Lodge, c’est inconditionnel. Il ne signe pas ici son plus grand roman, mais il me fait rire, me touche et m’emmène sur des terrains qui m’intéressent toujours. Ici, c’est la fin de vie. C’est la fin de la vie du travailleur, ici du professeur de linguistique; de la fonction sociale productive, ici il est à la retraite et les projets le laissent dorénavant froid; de la vie sexuelle qui perd de son élan et qui objective avant se ruer face aux pulsions. C’est aussi la diminution de certaines facultés. Ici, Desmond Barthes devient sourd (David Lodge devient sourd) et il se voit diminué là où il excellait avant – sa vie sociale active intellectuellement. Puis il voit son père, musicien, perdre tranquillement une à une ses facultés intellectuelles jusqu’à ce que Desmond soit confronté à laver son père, lui changer la couche et en prendre soin; il réalise que maintenant les rôles sont inversés de père-enfant.

Bien que le sujet soit sérieux, D. Lodge sait y semer l’humour avec ses bévues de mal-compréhension due à la surdité et des orthèses auditives fuyantes dont les piles ne semblent jamais durer longtemps, le père bougonneux, la seconde épouse qui a déployé ses ailes et qui est parfoit impatiente.

Au journal intime qu’il tient, Desmond nous fait connaître sa préoccupation du moment : Alex Loom, étudiante de 27 ans, doctorante mais sans les capacités, manipulatrice, qui fait l’analyse linguistique de lettres de suicidés. On ne sait trop quand la vérité commence, ni où elle finit. Clivage entre professeurs, Desmond se fait prendre au piège de la belle blonde qui l’utilise comme mentor. Toutefois, il est capable de retenue que seul l’âge, le vieillissement peut lui donner – on sait ici que ce n’est pas trop une question de valeur bien qu’il le verbalise ainsi. Son confrère, plus jeune, se fera prendre au piège. Prétexte pour la manifestation du comportement de l’homme qui s’affine avec les années, ou qui craint d’échouer au détriment de son image. Il voit au-delà de sa queue? Pas certaine, son image plutôt.

« La vie en sourdine », c’est la vie « regardée », en retrait, parce qu’on ne l’entend plus comme avant et on ne peut plus y participer comme avant. Le regard se transforme, non seulement celui de la personne qui a le handicap, mais celui qui le regarde; parfois on se dérobe, on se cache pour ne pas montrer la « dégradation ». Perdre l’ouie, c’est aussi perdre la face pour le protagoniste. C’est triste. Mais par chance s’il y a un compagnon qui comprend et qui regarde avec les mêmes yeux qu’avant (ici Winnifred qui tantôt perd patience, tantôt comprend), et qui pardonne les conséquences de ce que l’on n’est plus, la vie continue.

Il y a aussi de ces prises de conscience, comme cette visite à Auschwitz qui remet les choses en perpective – pour moi, une réminescence pour avoir visité ces lieux en 1993; des images indélébiles. – Une lettre retrouvée par un commando qui travaillait à l’extermination et qui savait qu’il ne sortirait pas lui-même vivant de cet enfer avait laissé ce mot à sa femme : « S’il a pu y avoir, à certains moments, des malentendus dérisoires dans notre vie, maintenant je vois qu’on était incapables d’apprécier à sa juste valeur le temps qui passait. » PRISE DE CONSCIENCE. Le temps qui passe, on n’a pas à l’entendre à grands cris, on n’a qu’à le regarder minute par minute.

Puis c’est l’Angleterre, Londres, l’université, l’univers de David Lodge. J’aime. 

vendredi 27 janvier 2012

Paul Auster - Invisible



Paul Auster, c’est une histoire dans l’histoire et, parfois, une troisième histoire dans la seconde. Même si on connaît cet auteur pour ce jeu gigogne, on se fait toujours prendre au jeu. Auster est un maître, un écrivain que j’admire, ho combien et comment!

Ici, c’est 3 chapîtres : Printemps (non titré car le choix des titres de chapître vient pendant le second); Été puis Automne. C’est 2 lettres. « Automne » ne sera qu’amorcé, car l’auteur succombe à un cancer avant d’avoir terminé; il n’écrit que des bribes, mais dont l’essentiel parle de l’annonce d’un meurtre. L’annonce à celle qui devait marier le meurtrier. Une mise en garde, une vengence pour cet homme : Rudolph Born qui semble s’en tirer trop bien. Adam Walker perdra sa vie à vouloir racheter cet acte ignoble dont il est témoin.

Ces 3 chapîtres sont rapportés par un ami d’université de l’auteur Adam Walker, témoin du meurtre de R. Born sur un paumé de New-York qui ne voulait que bluffer. A. Walker était poète au départ, mais deviendra l’ami des causes perdues en se destinant au droit. Cet ami, écrivain célèbre, n’a qu’un rôle mineur dans « Invisible », il est le passeur de cette histoire et apporte le dénouement en y ajoutant une portion du journal personnel d’une amie de passage de Walker, Cécile Juin, qui apportera un éclairage nouveau – la 3e histoire dans la 2e. La consécration du mal chez ce Born. Grâce à cet ami-auteur-célèbre, il ira aux sources de l’histoire de Walker, car un doute a été lancé sur la véracité de l’histoire sordide. Bonne chose.

On sait que tous les noms de personnes, de lieux ont été changés, car c’est la sœur de Walker qui a demandé que l’histoire soit publiée de façon intégrale et certains détails pourraient d’ailleurs la mettre mal à l’aise, certains détails purement inventés par Walker, d’après elle.

Étrangement, Born voulait également que son histoire à lui soit écrite, avec les noms et lieux changés, car il n’en était pas à son premier meurtre semblerait-il.

Une histoire racontée par un auteur, inventé par l’auteur Auster, et qui se pare d’une tierce personne écrivant aussi pour compléter son histoire. Avec le doigté d’un auteur qui sait tricoter ses histoires serrées. 

dimanche 22 janvier 2012

La traversée du continent - Michel Tremblay



C'est un voyage certes à travers le Canada, mais également à travers les yeux d'une fillette, qui en fait porte le nom de la mère de Michel Tremblay, qui découvre le monde des adultes, leurs travers, leurs défauts, les préjugés des uns, mais également leurs secrets qui les rendent bien singuliers. La fin est douloureuse, car c'est la fin d'une enfance qui s'inscrit à l'arrivée à Montréal... J'ai adoré. Ce livre m'a donné le goût de retourner aux chroniques du Plateau Mont-Royal.

dimanche 15 janvier 2012

Rachael Herron – How to knit a love song




Rachael Herron est graduée en littérature, mais elle est aussi une fervente du tricot. Son roman nous fait vivre une histoire d’amour qui se construit maille après maille, comme un tricot qu’on voit naître sur les aiguilles. Une histoire d’amour que l’on veut construite avec la meilleure fibre, mais qui exige parfois de détricoter, de recommencer, douter, laisser reposer quelque temps, puis reprendre avec fougue pour voir naître enfin le projet d’une vie.

Eliza, c’est un peu Elizabeth Zimmerman (c’est comme ça que je l’imagine tout au long du roman). Une mentor, la grande tricoteuse qui a laissé ses patrons, ses astuces et le goût de partager sa passion pour le tricot. À sa mort, Eliza laisse à Abigail, jeune femme de 25 ans orpheline qui a trouvé en Eliza une marraine-fée, un cottage rempli de ce que constituera une charmante boutique de tricot. Malheureusement et heureusement, ce cottage est situé en plein cœur des terrains de Cade, neveu de Eliza. Cade voit Abigail comme une intruse à sa tranquilité, lui qui prend soin de la terre, des moutons, et ce, depuis que ses parents l’ont en quelque sort abandonné et qu’Eliza l’a pris sous son aile.

Le roman, c’est l’histoire que Abigail écrit pour nous instruire un peu sur la vie de Eliza qui nous donne à nous, lecteur et tricoteuse, un conseil à chaque début de chapître sur une philosophie du tricot. Mais en fait, c’est plutôt une histoire remplie de sensualité, de suspense car le chapître précédent de la vie de Abigail n’est pas rose malgré ces roses que laisse trôner un psychopate qui la poursuit. C’est un livre qui nous baigne dans un milieu qu’on aime avec Abigail, designer de tricot, qui file la laine, qui écrit ses patrons, qui blogue, et qui prend ses aiguilles aussitôt qu’elle le peut. Comme nous… C’est pourquoi j’ai dévoré cette histoire…

jeudi 12 janvier 2012

Éric Dupont- Bestiaire Je le classe 10/10!



Chapîtres découpés en timbre poste – car le désir de partir loin, de lâcher prise sur la barre haute des barres asymétriques, image tirée de l’enfance de ces jeux de Montréal de 1976, est inhérent à ce MAGNIFIQUE et dérangeant roman. On est parmi les séparatistes déchus du lendemain du référendum, on parle de Cadbury parti s’installer loin du Québec, on cite Harmonium, Jacques Brel dont Henri VIII chante jusqu’à plus soif (il boit) et dont Éric D ne peut plus entendre maintenant une parole… Il préfère Elvis.

Éric Dupont signe ici une autobiographie, car on le sait au moment où il cite ce qu’il écrirait sur sa pierre tombale, ici-gît Éric Dupont vergeblish – déf : en vain. Il retourne « au grand dérangement » comme il l’appelle, moment de la séparation de son père (la barre haute) et de sa mère (la barre basse) au moment des jeux Olympiques de Montréal et du déménagement. Il a alors 6 ans. Il devra vivre sous le « règne » de son père qu’il nomme ici Henri VIII et de ses nombreuses femmes toutes affublées d’un nom de reine et sous de nombreux « édits » - lire « règles » dont une – ne jamais prononcer le nom ou tout ce qui se réfère à sa mère. Il fera également une croix sur l’amour. Car aucune marque de tendresse ne jalonnera cette enfance où le père intervient seulement pour donner des leçons – pas de violence – juste aucune tendresse, jamais. Par chance qu’il a sa sœur avec qui il se pratiquera à retrouver le rire sonore de la mère, car on ne peut quand même pas l’empêcher de rire… d’autant plus que ça peut faire croire qu’il est heureux dans cette chaumière de Matane.

Une leçon consiste à prendre ses responsabilités par l’intermédiaire de l’élevage de poules achetées par Henri VIII. Éric D verra chacune de ses poules comme ses collègues de classe, tous plus méchants les uns que les autres, mais avec cette hiérarchie retrouvée au sein de tout groupe social. Il les regarde se picosser, voire se tuer, avec les même desseins.
Rivière-du-Loup, ville natale, c’est les nombreux petits tremblements de terre. C’est un de ces petits tremblements qui empêchera la mère – nommée « Catherien D’Aragon », reine triste ayant été laissée pour compte – de se jetter dans le fleuve à bord de sa Renault 5 lorsqu’elle réalisera que Henri VIII est parti avec les enfants. Ces secousses sismiques, Éric D. les ressents dans son corps encore aujourd’hui à intervalles de 1,82 jour ou 200 fois par année, sauf lorsqu’il s’envole vers des ailleurs.

Il y a un peu de Ducharme dans ce roman et aussi du Petit Prince. La langue est maniée finement, justesse et images marquantes. Il fait parler le Grand Duc d’Amérique – qui lui permettra de s’envoler s’il récite un poème de Beaudelaire – passage magnifique. Il fait référence à ces humains en complet gris qui ne mangent pas de desserts et qui écrivent des formulaires pour Revenu Québec. Il s’adresse directement à nous lecteur.

C’est un roman que je classe parmi les meilleurs que j’ai lus. Merci Éric Dupont.