vendredi 27 janvier 2012

Paul Auster - Invisible



Paul Auster, c’est une histoire dans l’histoire et, parfois, une troisième histoire dans la seconde. Même si on connaît cet auteur pour ce jeu gigogne, on se fait toujours prendre au jeu. Auster est un maître, un écrivain que j’admire, ho combien et comment!

Ici, c’est 3 chapîtres : Printemps (non titré car le choix des titres de chapître vient pendant le second); Été puis Automne. C’est 2 lettres. « Automne » ne sera qu’amorcé, car l’auteur succombe à un cancer avant d’avoir terminé; il n’écrit que des bribes, mais dont l’essentiel parle de l’annonce d’un meurtre. L’annonce à celle qui devait marier le meurtrier. Une mise en garde, une vengence pour cet homme : Rudolph Born qui semble s’en tirer trop bien. Adam Walker perdra sa vie à vouloir racheter cet acte ignoble dont il est témoin.

Ces 3 chapîtres sont rapportés par un ami d’université de l’auteur Adam Walker, témoin du meurtre de R. Born sur un paumé de New-York qui ne voulait que bluffer. A. Walker était poète au départ, mais deviendra l’ami des causes perdues en se destinant au droit. Cet ami, écrivain célèbre, n’a qu’un rôle mineur dans « Invisible », il est le passeur de cette histoire et apporte le dénouement en y ajoutant une portion du journal personnel d’une amie de passage de Walker, Cécile Juin, qui apportera un éclairage nouveau – la 3e histoire dans la 2e. La consécration du mal chez ce Born. Grâce à cet ami-auteur-célèbre, il ira aux sources de l’histoire de Walker, car un doute a été lancé sur la véracité de l’histoire sordide. Bonne chose.

On sait que tous les noms de personnes, de lieux ont été changés, car c’est la sœur de Walker qui a demandé que l’histoire soit publiée de façon intégrale et certains détails pourraient d’ailleurs la mettre mal à l’aise, certains détails purement inventés par Walker, d’après elle.

Étrangement, Born voulait également que son histoire à lui soit écrite, avec les noms et lieux changés, car il n’en était pas à son premier meurtre semblerait-il.

Une histoire racontée par un auteur, inventé par l’auteur Auster, et qui se pare d’une tierce personne écrivant aussi pour compléter son histoire. Avec le doigté d’un auteur qui sait tricoter ses histoires serrées. 

dimanche 22 janvier 2012

La traversée du continent - Michel Tremblay



C'est un voyage certes à travers le Canada, mais également à travers les yeux d'une fillette, qui en fait porte le nom de la mère de Michel Tremblay, qui découvre le monde des adultes, leurs travers, leurs défauts, les préjugés des uns, mais également leurs secrets qui les rendent bien singuliers. La fin est douloureuse, car c'est la fin d'une enfance qui s'inscrit à l'arrivée à Montréal... J'ai adoré. Ce livre m'a donné le goût de retourner aux chroniques du Plateau Mont-Royal.

dimanche 15 janvier 2012

Rachael Herron – How to knit a love song




Rachael Herron est graduée en littérature, mais elle est aussi une fervente du tricot. Son roman nous fait vivre une histoire d’amour qui se construit maille après maille, comme un tricot qu’on voit naître sur les aiguilles. Une histoire d’amour que l’on veut construite avec la meilleure fibre, mais qui exige parfois de détricoter, de recommencer, douter, laisser reposer quelque temps, puis reprendre avec fougue pour voir naître enfin le projet d’une vie.

Eliza, c’est un peu Elizabeth Zimmerman (c’est comme ça que je l’imagine tout au long du roman). Une mentor, la grande tricoteuse qui a laissé ses patrons, ses astuces et le goût de partager sa passion pour le tricot. À sa mort, Eliza laisse à Abigail, jeune femme de 25 ans orpheline qui a trouvé en Eliza une marraine-fée, un cottage rempli de ce que constituera une charmante boutique de tricot. Malheureusement et heureusement, ce cottage est situé en plein cœur des terrains de Cade, neveu de Eliza. Cade voit Abigail comme une intruse à sa tranquilité, lui qui prend soin de la terre, des moutons, et ce, depuis que ses parents l’ont en quelque sort abandonné et qu’Eliza l’a pris sous son aile.

Le roman, c’est l’histoire que Abigail écrit pour nous instruire un peu sur la vie de Eliza qui nous donne à nous, lecteur et tricoteuse, un conseil à chaque début de chapître sur une philosophie du tricot. Mais en fait, c’est plutôt une histoire remplie de sensualité, de suspense car le chapître précédent de la vie de Abigail n’est pas rose malgré ces roses que laisse trôner un psychopate qui la poursuit. C’est un livre qui nous baigne dans un milieu qu’on aime avec Abigail, designer de tricot, qui file la laine, qui écrit ses patrons, qui blogue, et qui prend ses aiguilles aussitôt qu’elle le peut. Comme nous… C’est pourquoi j’ai dévoré cette histoire…

jeudi 12 janvier 2012

Éric Dupont- Bestiaire Je le classe 10/10!



Chapîtres découpés en timbre poste – car le désir de partir loin, de lâcher prise sur la barre haute des barres asymétriques, image tirée de l’enfance de ces jeux de Montréal de 1976, est inhérent à ce MAGNIFIQUE et dérangeant roman. On est parmi les séparatistes déchus du lendemain du référendum, on parle de Cadbury parti s’installer loin du Québec, on cite Harmonium, Jacques Brel dont Henri VIII chante jusqu’à plus soif (il boit) et dont Éric D ne peut plus entendre maintenant une parole… Il préfère Elvis.

Éric Dupont signe ici une autobiographie, car on le sait au moment où il cite ce qu’il écrirait sur sa pierre tombale, ici-gît Éric Dupont vergeblish – déf : en vain. Il retourne « au grand dérangement » comme il l’appelle, moment de la séparation de son père (la barre haute) et de sa mère (la barre basse) au moment des jeux Olympiques de Montréal et du déménagement. Il a alors 6 ans. Il devra vivre sous le « règne » de son père qu’il nomme ici Henri VIII et de ses nombreuses femmes toutes affublées d’un nom de reine et sous de nombreux « édits » - lire « règles » dont une – ne jamais prononcer le nom ou tout ce qui se réfère à sa mère. Il fera également une croix sur l’amour. Car aucune marque de tendresse ne jalonnera cette enfance où le père intervient seulement pour donner des leçons – pas de violence – juste aucune tendresse, jamais. Par chance qu’il a sa sœur avec qui il se pratiquera à retrouver le rire sonore de la mère, car on ne peut quand même pas l’empêcher de rire… d’autant plus que ça peut faire croire qu’il est heureux dans cette chaumière de Matane.

Une leçon consiste à prendre ses responsabilités par l’intermédiaire de l’élevage de poules achetées par Henri VIII. Éric D verra chacune de ses poules comme ses collègues de classe, tous plus méchants les uns que les autres, mais avec cette hiérarchie retrouvée au sein de tout groupe social. Il les regarde se picosser, voire se tuer, avec les même desseins.
Rivière-du-Loup, ville natale, c’est les nombreux petits tremblements de terre. C’est un de ces petits tremblements qui empêchera la mère – nommée « Catherien D’Aragon », reine triste ayant été laissée pour compte – de se jetter dans le fleuve à bord de sa Renault 5 lorsqu’elle réalisera que Henri VIII est parti avec les enfants. Ces secousses sismiques, Éric D. les ressents dans son corps encore aujourd’hui à intervalles de 1,82 jour ou 200 fois par année, sauf lorsqu’il s’envole vers des ailleurs.

Il y a un peu de Ducharme dans ce roman et aussi du Petit Prince. La langue est maniée finement, justesse et images marquantes. Il fait parler le Grand Duc d’Amérique – qui lui permettra de s’envoler s’il récite un poème de Beaudelaire – passage magnifique. Il fait référence à ces humains en complet gris qui ne mangent pas de desserts et qui écrivent des formulaires pour Revenu Québec. Il s’adresse directement à nous lecteur.

C’est un roman que je classe parmi les meilleurs que j’ai lus. Merci Éric Dupont.