samedi 25 février 2012

Jocelyne Saucier - Il pleuvait des oiseaux



Je commence par ceci : C’EST UN ROMAN REMARQUABLE. Le narrateur donne la voix aux visiteurs de ces personnes âgées qui ont décidé de vivre librement. Trois vieux, de plus de 85 ans, qui ont fait le choix de se donner un dernier chapître de leur vie sans barrière. Leur identité n’est plus très importante. Trois hommes qui vivent en forêt dans leur cabane respective, avec pour colocataire, un animal de compagnie. Ils vivent au gré de la nature dans laquelle nous sommes complètement imprégnées. Que le nécessaire, sans plus. Même si la rudesse de l’hiver, habituellement rebutante pour moi en tout cas si j’étais prise en forêt, pour eux, ça va de soi et ça en vaut le coût. Puis il y a la petite boîte en fer blanc sur l’étagère qui donne accès à la porte du ciel si un des leurs décidait qu’il en avait assez, en donnant l’exemple d’incapacités physiques à vivre dans le paradis terrestre.

« Il pleuvait des oiseaux » quand les grands feux ont fait rage en Ontario au début du 20e siècle. Boychuck était alors enfant et il a marché pendant des jours dans le marasme de ce désastre qui lui a fait pourtant rencontrer les jumelles Polson, beautés qu’ils l’habiteront pendant toute sa vie. Dans sa cabane, Boychuck peint l’incendie, peint les amours de sa vie.

La photographe, dont je ne suis pas certaine qu’on ait prononcé son nom dans le roman, part à la recherche de ce Boychuck voulant faire le reportage de cet enfant qui a marché à travers l’incendie et a croisé une kyrielle d’individus qui en ont forgé leur histoire personnelle. Elle fera la rencontre en forêt de la communauté du lac : Charlie et Tom. Boychuck vient de mourir. Elle s’imprègne de ces vies, faute d’en avoir une.

Puis Bruno, ami de la communauté et de Steeve tenancier du bar du village, dont la forêt est aussi son coin de jardinage en guise de gagne-pain, y amènera Marie-Desneige, sa tante qu’on vient de découvrir, sœur de son père décédé. Internée toute sa vie sous des motifs qui datent d’un autre siècle, elle aussi aura sa seconde vie dans la forêt. Charlie débutera un nouveau chapître de sa vie en forêt avec Marie-Desneige.

Un portrait de la vieillesse tout en douceur. Où la vie revêt un caractère si loin de nos impératifs. Ça nous donne presque le goût d’aller s’isoler loin, loin et goûter à cette liberté.

Une écriture remarquable. Bravo Jocelyne Saucier, vous m’avez fait passer un moment ressourçant. 

samedi 11 février 2012

David Lodge - Une vie en sourdine


J’aime David Lodge, c’est inconditionnel. Il ne signe pas ici son plus grand roman, mais il me fait rire, me touche et m’emmène sur des terrains qui m’intéressent toujours. Ici, c’est la fin de vie. C’est la fin de la vie du travailleur, ici du professeur de linguistique; de la fonction sociale productive, ici il est à la retraite et les projets le laissent dorénavant froid; de la vie sexuelle qui perd de son élan et qui objective avant se ruer face aux pulsions. C’est aussi la diminution de certaines facultés. Ici, Desmond Barthes devient sourd (David Lodge devient sourd) et il se voit diminué là où il excellait avant – sa vie sociale active intellectuellement. Puis il voit son père, musicien, perdre tranquillement une à une ses facultés intellectuelles jusqu’à ce que Desmond soit confronté à laver son père, lui changer la couche et en prendre soin; il réalise que maintenant les rôles sont inversés de père-enfant.

Bien que le sujet soit sérieux, D. Lodge sait y semer l’humour avec ses bévues de mal-compréhension due à la surdité et des orthèses auditives fuyantes dont les piles ne semblent jamais durer longtemps, le père bougonneux, la seconde épouse qui a déployé ses ailes et qui est parfoit impatiente.

Au journal intime qu’il tient, Desmond nous fait connaître sa préoccupation du moment : Alex Loom, étudiante de 27 ans, doctorante mais sans les capacités, manipulatrice, qui fait l’analyse linguistique de lettres de suicidés. On ne sait trop quand la vérité commence, ni où elle finit. Clivage entre professeurs, Desmond se fait prendre au piège de la belle blonde qui l’utilise comme mentor. Toutefois, il est capable de retenue que seul l’âge, le vieillissement peut lui donner – on sait ici que ce n’est pas trop une question de valeur bien qu’il le verbalise ainsi. Son confrère, plus jeune, se fera prendre au piège. Prétexte pour la manifestation du comportement de l’homme qui s’affine avec les années, ou qui craint d’échouer au détriment de son image. Il voit au-delà de sa queue? Pas certaine, son image plutôt.

« La vie en sourdine », c’est la vie « regardée », en retrait, parce qu’on ne l’entend plus comme avant et on ne peut plus y participer comme avant. Le regard se transforme, non seulement celui de la personne qui a le handicap, mais celui qui le regarde; parfois on se dérobe, on se cache pour ne pas montrer la « dégradation ». Perdre l’ouie, c’est aussi perdre la face pour le protagoniste. C’est triste. Mais par chance s’il y a un compagnon qui comprend et qui regarde avec les mêmes yeux qu’avant (ici Winnifred qui tantôt perd patience, tantôt comprend), et qui pardonne les conséquences de ce que l’on n’est plus, la vie continue.

Il y a aussi de ces prises de conscience, comme cette visite à Auschwitz qui remet les choses en perpective – pour moi, une réminescence pour avoir visité ces lieux en 1993; des images indélébiles. – Une lettre retrouvée par un commando qui travaillait à l’extermination et qui savait qu’il ne sortirait pas lui-même vivant de cet enfer avait laissé ce mot à sa femme : « S’il a pu y avoir, à certains moments, des malentendus dérisoires dans notre vie, maintenant je vois qu’on était incapables d’apprécier à sa juste valeur le temps qui passait. » PRISE DE CONSCIENCE. Le temps qui passe, on n’a pas à l’entendre à grands cris, on n’a qu’à le regarder minute par minute.

Puis c’est l’Angleterre, Londres, l’université, l’univers de David Lodge. J’aime.