samedi 17 janvier 2015

"Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" - Patrick Modiano


Le titre relève d’un billet que Daragane, le protagoniste écrivain, avait sur lui, petit, lorsqu’il se déplaçait seul dans le quartier. C’est Annie Arstand qui a avait inscrit l’adresse et ce mot sur le billet : Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. Annie était… une amie de sa mère? Les deux femmes se connaissaient par personne interposée, ça certain. Ils partageaient des activités obscures? Annie était danseuse acrobatique… mais quoi encore? Rien n’est dit textuellement. Mais elle a été importante dans la vie de Daragane. On la perçoit comme celle qui a remplacé la mère absente. Mais elle l’abandonnera aussi, mais contre son gré, elle voulait l’emmener avec lui.

Ce roman est une réminiscence d’un auteur sur une période de son enfance dont il n’est pas certain qu’il voulait tant que ça déterrer; le tout se fait à son corps défendant avec ces liens qui surgissent, un peu comme lorsqu’on tombe sur une image, une odeur qui nous rappelle une étincelle d’enfance. Trop d’ombre perdure… Daragane est un personnage obscur; il nous apparaît lugubre, renfermé, seul.

Le minimum est dit, juste les souvenirs dont Daragane semblent privilégier. En fait, il y a un mystère, plusieurs interrogations et… il ne faut pas s’attendre à un punch à la fin. Beaucoup de questions resteront en suspens.

Tout débute par un carnet d’adresses appartenant à Daragane retrouvé par un inconnu. Dans ce vieux carnet, un nom : Torstel. Il serait impliqué dans un fait divers, un meurtre perpétré il y a très longtemps sur une Colette. La curiosité de cet inconnu pour le nom dans ce carnet, car il y voit une histoire qu’il pourrait développer dans un roman. Il contact  alors Daragane pour lui remettre le carnet en échange d’informations.

La mémoire est un personnage dans ce roman. Elle est inexistante au départ, puis elle remonte le courant par bribes. L’inconnu et sa conjointe Chantal sont des personnages secondaires; ils sont prétextes à placer les indices à éveiller la mémoire de Daragane. Une fois passés, Daragane est dans le fil de sa tête à travers le temps et on n’en parle plus. Cet inconnu qui veut chercher des indices est un peu écrivain, juste un peu car il semble être aux prémisses d’écriture puisqu’il prétexte avoir déjà écrit un livre dont l’auteur ne serait qu’un homonyme. Mais il recrée le comportement de Daragane bien des années plus tôt lorsqu’il cogne chez le voisin-médecin de Annie Arstand pour tenter de comprendre ce qui c’est passé le jour où il s’est réveillé seul un matin alors qu’il se préparait à passer la frontière pour l’Italie avec un faux-passeport. Annie qui faisait office de maman a disparu. Il interroge le médecin sous de faux prétextes pour comprendre. Le médecin lui répondra que la meilleure personne pour répondre à ses interrogations serait peut-être ce petit garçon qui y habitait. Un peu comme cet inconnu qui retrouve le petit garçon du photomaton dans le dossier policier pour l’interroger. Car Annie Arstand a fait de la prison, mais on ne saura pas pourquoi. Lorsqu’il la reverra un jour, la mémoire de Annie (devenue Agnès Vincent) lui fait tellement défaut qu’il ne la questionnera pas. On ne sait rien des parents de Daragane, ils sont évoqués sans plus.

                La mémoire enfouie se révèle… secoue les puces de Daragane qui s’enfonçait dans sa solitude, mais on aimerait la suite. À moins qu’il ne veuille garder sa vie à l’ombre comme la citation en exergue : « Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n’en puis présenter que l’ombre. » Stendhal


                Mon appréciation : perplexe. J’ai aimé l’écriture. J’aime les questions que le roman soulève sur nos propres souvenirs qu’on enfouit parfois involontairement.