vendredi 17 avril 2015

"Pauvres petits chagrins" de Miriam Toews

Vivre comme ménnonite, c’est une curiosité en soi. Difficile de se mettre dans la peau d’individus qui ont décidé que l’ère du temps, ce n’était pas pour eux. Mais puisque c’est une culture imposée à la progéniture, il va s’en dire qu’il y a des risques que cette dernière n’y adhère pas, voire qu’elle tente d’en sortir. Ne pas adhérer aux valeurs familiales, aux valeurs du village qui est le ciment… faut être fait fort, dirait-on. Si en plus, on n’a pas le gène du bonheur… Parce qu’on le sait bien, le bonheur, c’est 50% inné, 10% les circonstances de la vie et le 40% restant… ça dépend du bon vouloir. S’imaginer avec le cœur déjà à moitié vide de bonheur au départ et vivre dans un milieu où les contraintes s’additionnent…  oui le suicide existe, là aussi.

« Pauvres petits chagrins » est un titre dont le sens me rend perplexe. Ce n’est pas « petits » comme chagrins! Miriam Toews écrit ici un peu sa propre histoire. Elle a perdu son père par le suicide, puis ensuite c’est sa sœur en 2010 qui choisit de passer l’autre côté de la même façon. Le roman constitue cette période où elle assiste à cette transition entre la vie et la mort de sa sœur qui la supplie de l’aider. C’est les va-et-vient entre le domicile de Toronto où vivent les deux enfants de Yoli, enfants qui nécessitent encore de la supervision, puis la maison de Winnipeg où vit sa mère, puis le département de psychiatrie de l’hôpital. Comment vivre avec cette peine si grande de voir sa sœur talentueuse, une virtuose du piano, belle, qui a un mari aimant… Comment comprendre serait plutôt la question… Yoli qui a deux enfants de deux pères différents, qui ne vit que maigrement, écrit des romans de rodéo, de bateau… donc qui ne semblent pas très intéressants et… elle le sait, on le sent bien. Yoli est une femme tourmentée et comment!

Elf n’en est pas à sa première tentative de suicide. Maintenant, elle veut se rendre en Suisse, là où le suicide assisté est permis. Elle veut que Yoli l’emmène parce qu’elle ne veut pas mourir seule ou, c’est plutôt Yoli qui  ne veut pas que Elf meurt seule. Quand Elf s’aperçoit qu’il est loin d’être certain que le voyage se fera, elle décide d’en finir. En tant que lecteur, on fait ouf! On n’aurait pas voulu que Yoli ait en plus ce boulet sur la conscience. Il me semble qu’elle souffre suffisamment. Car… par amour, on sent qu’elle aurait peut-être succombé à la requête de sa sœur.

Sa cousine s’est suicidée. La mère de sa cousine, dont la force de caractère est tout autre, mourra aussi pendant l’hospitalisation de Elf, mais du cœur. Encore et toujours le cœur qui est malade.


Comment dire… tant de souffrances. On se dit que bien notre propre souffrance nous apparaisse parfois intolérable… notre voisine, le client qu’on voit aujourd’hui, vit aussi une terrible souffrance! Par chance… j’ai le gène du bonheur, je pars donc avec le verre à moitié plein!